Je suis l’aînée de cinq enfants : quand nous étions petits, je profitais sans vergogne de ma supériorité physique pour me battre avec mes trois petits frères. Quand un coup partait un peu trop fort, nous adorions nous jeter à la figure : “œil pour œil, dent pour dent !”
Pas certain que nous sachions alors que cette expression était issue de la Bible, et plus précisément du livre de l’Exode. On la trouve au milieu d’une liste impressionnante de règles et de préceptes que Dieu donne à son peuple dans le désert, après qu’il a fui l’Egypte où il était réduit en esclavage.
Mais s’il arrive malheur, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. (Exode 21:23-25)
On l’appelle aussi “loi du talion”, du latin talis qui signifie “pareil”, “semblable”. A première vue, cette règle paraît juste et égalitaire : le crime commis doit être puni par une peine qui lui est égale. Le coupable doit être traité comme il a traité les autres. Cette loi est historiquement une tentative de limiter la vengeance, en la rendant proportionnée et non excessive.
Mais on imagine bien aussi le cycle sans fin de vengeances individuelles qu’une telle règle peut engendrer.
Comment sortir alors de ce cercle vicieux et violent ?
La réponse se trouve un peu plus loin dans la Bible, dans le Nouveau Testament. Jésus enseigne une foule nombreuse venue l’écouter.
Et son enseignement est surprenant !
Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. (Matthieu 5:38-39)
Jésus serait-il un masochiste ou un faible ? Veut-il que nous nous laissions faire comme de simples victimes passives ?
Ce que Jésus essaie de nous faire comprendre, c’est que la violence engendre la violence, augmentant la haine et le ressentiment. “Tendre l’autre joue” est le chemin qu’il nous propose pour désamorcer le système violent de la vengeance, ce qui n’exclut pas la justice.
Il s’agit d’une piste de réflexion pour agir guidés par notre volonté, et non pas en suivant notre instinct qui nous pousse à rendre coup pour coup lorsqu’on nous blesse.
Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien. (Romains 12:21)
Évidemment, Jésus ne nous propose pas de nous laisser faire passivement, mais plutôt de combattre le mal en empruntant une autre voie, même si elle peut nous paraître idéaliste ou utopique.
Il nous pousse à quitter notre esprit légaliste pour réfléchir et agir.
Finalement, à ne pas rester passif face au Mal et la violence, mais à le combattre activement, d’une autre manière : en plaçant le pardon avant la vengeance, en mettant le violent face à ses actes.
On peut penser aux résistances pacifiques de Nelson Mandela ou de Martin Luther King, face aux systèmes violents et oppressifs de l’apartheid et de la ségrégation, par exemple. Ou encore à la politique “Gacaca” au Rwanda (tribunaux communautaires traditionnels) qui a permis à des accusés du génocide de reconnaître publiquement leurs actes et de demander pardon, tandis que les victimes ont eu l’opportunité de témoigner.
Ces processus ne se limitent pas à une amnistie pure et simple, mais visent à restaurer la dignité des victimes et à briser le cycle de la violence par la reconnaissance et le pardon.
Dernier exemple : face à la violence des inégalités économiques, le “Revenu de Base universel” cherche à répondre à l’injustice économique par une redistribution équitable des ressources, afin de garantir un minimum vital à chaque individu. Ce mouvement n’est pas basé sur la vengeance ou la révolte violente contre les élites économiques, mais sur une proposition constructive qui vise à réduire les inégalités de manière pacifique et équitable.
Finalement, nos bagarres de frangins se finissaient toujours quand l’un de nous proposait d’aller jouer aux playmos.
Une chouette manière de tendre l’autre joue !