Avertissement : Le sujet abordé dans cette série d’articles peut heurter la sensibilité de certains lecteurs. L’auteur s’excuse par avance si ses propos ou ses choix de traitement du sujet viennent à choquer ou blesser. L’intention n’est en aucun cas d’ajouter de la souffrance à la souffrance, mais de montrer comment cette thématique est abordée dans la Bible, avec respect et bienveillance.
Chou. Fleur. Chou. Fleur. Chou…
Ça vous rappelle quelque chose ? Pour moi, cette petite rengaine rime avec la constitution des équipes de sport à l’école primaire. Deux capitaines, des choix à la chaîne… et cette petite douleur d’enfance que beaucoup connaissent : être choisi en dernier. Pas parce qu’on est désiré, mais parce qu’il faut bien quelqu’un.
“Bon… bah… Roberte, alors.”
On pourrait espérer qu’ayant grandi, les membres de la société soient moins cruels et essaient d’intégrer davantage les autres, y compris (et peut-être surtout) les plus fragiles, les différents, les démunis. Pas besoin d’être grand clerc pour savoir qu’il n’en est rien.
La souffrance sociale est un mal silencieux mais intense. Et qui va jusqu’à tuer, parfois.
“Le solitaire se ronge le coeur” (Nietzsche)
« En 2025, 12 % des personnes de plus de 15 ans se trouvent en situation d’isolement relationnel, ce qui signifie qu’elles ont peu ou pas de contacts physiques avec d’autres personnes. Ce chiffre est en augmentation de 1 point par rapport à 2023 » (Etude de la Fondation de France) L’étude souligne que cette situation touche les revenus les plus bas, les personnes au chômage, les immigrés, les parents seuls, les personnes âgées. Mais également les jeunes, qui doivent en plus “jongler” entre l’injonction au bonheur de la vingtaine et le profond sentiment de solitude qu’ils éprouvent jusqu’à avoir parfois des envies suicidaires.
Ce que ces chiffres alarmants soulignent, c’est le besoin viscéral de l’homme d’être entouré, reconnu pour ce qu’il est, aimé.
“Il n’est pas bon que l’homme soit seul” (Genèse 2:18), souligne Dieu lorsqu’il vient de façonner Adam dans le premier livre de la Bible.
Dans le projet de Dieu, nous sommes donc – à son image – voués à entrer en relation. Il y a chez l’homme un désir intense d’être en communion avec les autres, un désir d’harmonie, de compréhension, de bienveillance mutuelle, en communiquant qui il est.
Le rejet de la société (isolement, harcèlement) est très violent, puisqu’il va à l’encontre de notre vocation profonde.
L’isolement social à l’ère des réseaux : Être vu sans être connu
Aujourd’hui, la société n’existe pas seulement dans la rue ou dans l’espace public, mais également dans un espace virtuel. Les technologies modernes ont créé une nouvelle forme de solitude. La “présence” sur les réseaux sociaux, par exemple, est une présence in abstentia, une présence-absente en quelque sorte, puisque nous n’y sommes pas physiquement présent..
Ces réseaux provoquent de nouvelles sensations de rejet ou de solitude. Je me souviens par exemple d’un élève qui était le seul à ne pas être sur le groupe Whatsapp de la classe lorsque j’étais prof. Ou à quel point je trouvais triste la cour de récréation de mes lycéens, presque silencieuse, car ils étaient tous sur leur téléphone. Les médias sociaux donnent une illusion de lien, mais masquent la solitude réelle qui peut passer soit par le rejet, soit par l’invisibilisation.
Jésus et la solitude sociale
Ce rejet social n’est pas seulement lié à notre époque moderne. Du temps de Jésus aussi, il y avait les rejetés, les mis au ban de la société. Il suffit de regarder dans les Evangiles : les prostituées, les lépreux, la femme adultère, les non-juifs…
J’aime beaucoup le récit de la rencontre de Jésus et Zachée, à cet égard. Pour vous planter le décor, Zachée est particulièrement détesté car il collecte les impôts pour l’occupant romain (une sorte de “collabo” de l’époque, donc). Il sait que Jésus va venir dans sa ville, et comme il est tout petit, il grimpe dans un arbre pour le regarder passer. Jésus s’arrête sous l’arbre, lève les yeux, le regarde et l’appelle par son nom :
« Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » (Luc 19:5)
Dieu accorde une attention particulière à chacun. Il nous regarde. Il nous appelle par notre nom. Il vient demeurer chez nous, avec nous. Même les exclus, les invisibles, ceux que la société ignore : il les voit, il les appelle.
Faire de ma solitude un lieu de rencontre des autres ?
Notre sentiment de solitude est constitutif de notre condition humaine : nous naissons seul, nous mourrons seul. Entre les deux, nous pouvons tisser des liens, entrer en relation, mais nous pouvons seuls vivre la vie qui est la nôtre.
Une première piste peut consister à habiter cette solitude, passer davantage de temps avec soi-même. Essayer d’apprécier ces temps. C’est le cas de ce youtubeur qui a voulu ré-apprivoiser sa solitude en effectuant une déconnexion numérique.
Nous pouvons également utiliser la souffrance que nous ressentons d’être rejeté ou exclu, pour créer du lien avec les autres à travers l’écoute et la compassion. “Je sais ce que tu ressens, ce que tu traverses. je suis là. Avec toi.” Notre souffrance peut alors devenir un lieu où nous pouvons rencontrer les autres. Le très chouette projet “Ce qui compte vraiment”, par exemple, crée du lien entre des lycéens et des personnes âgées. Pour rompre le cercle de la solitude.
“Et moi je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde” nous dit Jésus (Matthieu 28:20)
Et si, dans nos solitudes respectives, nous devenions des mains tendues pour d’autres ? Et si cette souffrance, au lieu de nous replier, devenait un terreau de fraternité ?