La douleur du deuil

Car l'amour est plus fort que la mort

Avertissement : Le sujet abordé dans cette série d’articles peut heurter la sensibilité de certains lecteurs. L’auteur s’excuse par avance si ses propos ou ses choix de traitement du sujet viennent à choquer ou blesser. L’intention n’est en aucun cas d’ajouter de la souffrance à la souffrance, mais de montrer comment cette thématique est abordée dans la Bible, avec respect et bienveillance.

Pour notre série d’articles sur la souffrance, des témoins ont accepté de nous confier leur histoire, avec pudeur et délicatesse. Leur témoignage de vie peut nous apporter du réconfort : nous ne sommes pas seuls face à nos douleurs, même dans la douleur du deuil.

Sabine, 40 ans, a perdu sa mère brutalement d’un infarctus à 66 ans, puis son père d’un accident vasculaire et cardiaque à 77 ans.

Peux-tu me parler de la situation qui a provoqué ta souffrance ?

Le fait d’avoir perdu très soudainement et à treize ans d’intervalle, mes deux parents. Maman instantanément et papa en trois jours.

 

Quelles émotions as-tu ressenties immédiatement après ces événements ?

Pour maman, ça a été un choc inouï parce que mort très soudaine et très prématurée, alors qu’elle était en parfaite santé. Ça a été un très gros choc de ma vie, si ce n’est le plus gros choc de ma vie. J’ai vraiment cru que mon cœur allait lâcher sur le coup quand je l’ai su.

En ce qui concerne papa, on a pu l’accompagner pour ses derniers instants. On a eu quelques heures pour comprendre que c’était la fin, et quelque part pour nous y préparer nous aussi. Cette fin, même si elle a été rapide, elle a été très douce aussi parce qu’on a pu être là. On a vécu plein de belles choses autour de lui avec mes frères et sœurs et on a vu qu’il était conscient à certains moments de ce qui se passait : ça a dû profondément le réjouir. Du coup, l’émotion ressentie immédiatement après sa mort a été quelque part un grand soulagement parce que j’étais là, que je l’ai vu jusqu’à la fin, que j’ai été présente, ce que je n’avais pas pu faire pour maman. On le sentait libéré, physiquement très apaisé. 

 

Comment la souffrance a-t-elle évolué au fil du temps ?

Je ne sais pas si je pourrais dire qu’elle a évolué, je dirais que je me suis habituée à elle. Je ne peux pas dire que la souffrance n’est plus là. Je l’apprivoise. Cette souffrance de l’absence de mes parents, elle fait partie de ma vie et elle m’accompagne chaque jour. Je ne pourrais donc pas parler d’évolution, mais d’acclimatation, d’apprivoisement de cette souffrance.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile à gérer pendant cette période ?

Ce que j’ai trouvé le plus difficile, c’était la fatigue immense que j’ai ressentie au moment de leur mort,  parce que dans les deux cas j’ai emmagasiné beaucoup de sommeil en retard à ce moment-là. J’ai mis du temps à retrouver une vie saine, avec des horaires plus cohérents et respectueux de mon rythme de sommeil. J’ai vraiment le souvenir d’une grande fatigue physique qui prenait un peu le dessus sur toutes les émotions. Du coup, j’étais très irritable, un peu comme une allumette qu’il suffisait de craquer pour que tout s’embrase. 

 

Y a-t-il des moments où tu as cru que tu n’arriverais pas à surmonter cette épreuve ?

Oui, un moment en particulier : quand on a enterré papa, quand on l’a descendu auprès de maman. De revoir le cercueil de maman, ça a été hyper violent. Et de voir les deux cercueils côte à côte au fond de ce caveau, ça m’a dévastée. J’ai eu envie de sauter dans cette fosse à ce moment-là… Je me suis dit que je n’arriverai pas à remonter à la surface.

 

Est-ce que cette souffrance a changé ta vision de la vie, des autres et de toi-même ?

Oui, énormément ! J’ai touché la fragilité de la vie, qui est quelque chose dont on entend parler, mais là, je l’ai expérimentée. J’ai touché la violence de la mort dans sa rapidité, dans son côté irrémédiable. Et j’ai développé depuis ce moment-là une angoisse de mort, que j’ai identifiée il y a peu de temps avec ma psy. Aujourd’hui je suis pétrie des angoisses de mort de mon mari et de mes enfants. J’ai très peur qu’ils meurent prématurément et rapidement. C’est quelque chose qui m’a toujours traversé l’esprit et ça s’est décuplé avec la mort de mes parents. J’ai très peur de perdre de nouveau ceux que j’aime.

Ça a aussi changé ma vision des autres. Depuis, j’ai à cœur de m’attacher à des gens dont je sens qu’ils ont une forme de profondeur ou une capacité à être capable d’aller dans le fond des choses. Aujourd’hui je passe très vite mon chemin quand je sens quelqu’un de superficiel ou dans l’incapacité de rentrer dans la vraie vie, dans les sujets authentiques. Je tiens ça de cette épreuve : pour avoir envie de m’accrocher à quelqu’un ou d’être en contact avec lui, j’ai besoin de savoir que je peux aller dans des discussions profondes, authentiques. Je relie un peu ça à la fragilité de nos existences et à l’urgence de vivre maintenant et aujourd’hui, à créer des contacts qui comptent.

 

Aujourd’hui comment te sens-tu par rapport à ce que tu as vécu ?

Déjà je ne mettrais pas cette phrase au passé, parce que j’ai l’impression d’être encore vraiment dans cette souffrance. Pour moi, elle n’est pas du tout passée, parce que la mort de papa, assez récente, m’a fait bien “remettre le nez” dans la mort de maman. J’ai l’impression d’un package permanent de papa et maman pas là. Je me sens fragile. On dit souvent “ce qui ne tue pas rend plus fort”… Je ne me l’appliquerais pas : je me sens fragilisée. Mais cette fragilité ne m’inquiète pas particulièrement, parce que je ne vois pas comment cela pourrait être autrement. Et ensuite, je me dis qu’être fragile, ça dit aussi l’affection que j’ai pour mes parents et la douleur que je ressens avec leur absence.

 

Qu’est-ce que la souffrance a changé chez toi ?

Je dirais qu’elle m’a un peu grisée, ternie… Elle m’a un peu voilé l’âme. On se faisait récemment la réflexion avec mon mari qu’à quarante ans on était beaucoup plus soucieux qu’il y a vingt ans, qu’on avait vécu ces vingt dernières années des choses douloureuses, inévitables avec le temps qui passe. Aujourd’hui je me sens une femme plus grave, justement à cause de cette souffrance de la mort de mes parents.

 

Qu’est-ce qui t’a permis de continuer à avancer malgré la souffrance ?

Je ne sais pas répondre à cette question… Parce qu’on n’a pas trop le choix de continuer à avancer quand on souffre, surtout quand on a des enfants en bas âge. Je n’ai pas eu trop le choix… Je n’ai pas le choix. Parce que ma fille et mon fils sont là : je dois continuer à être une maman debout et vaillante pour eux, même si ça n’empêche pas les moments où je suis fragile, où je suis triste. Je déteste l’expression “la vie continue”… Je dirais plus que, fatalement, on n’a pas le choix : oui, la vie doit continuer, on ne va pas s’arrêter avec nos morts. Et heureusement !

 

Penses-tu que la souffrance est une expérience nécessaire dans la vie humaine ?

Nécessaire, non, je ne pense pas. Je dirais plutôt inévitable. Je ne pense pas qu’il y ait une existence qui soit épargnée par la souffrance, quelle qu’elle soit. Il faut s’attendre à souffrir, en vivant. Non pas que la vie soit souffrance, mais la souffrance fait inévitablement partie de la vie. Pour moi, c’est un passage obligé. C’est ce qui m’angoisse, d’ailleurs, parce que je me dis que je n’ai pas fini de souffrir, que je vais encore perdre des gens que j’aime, et ça me terrifie.

 

Y a-t-il quelque chose que tu voudrais que les autres sachent ou comprennent mieux au sujet de ta souffrance ?

J’aimerais juste que tout le monde ait dans un coin de la tête ce par quoi passent les autres, ou ce par quoi ils sont passés, parce que ça fait partie de leur bagage. Mais je me l’applique aussi ! Parfois je ne sais pas si tout le monde a conscience de ce qu’a souffert le voisin, ou de ce qu’il souffre actuellement. On a un peu tendance à zapper, peut-être simplement par oubli, par pudeur ou par égocentrisme. Peut-être qu’on passe un peu vite à côté des souffrances de nos vies. En même temps, on ne se définit pas uniquement par nos souffrances, et heureusement ! Sinon la planète entière serait dépressive…

Une chose que je voudrais que les autres sachent ou comprennent au sujet de ma souffrance, c’est qu’elle fait partie de mon ADN et que même si je peux donner le change parce que la vie doit continuer, parfois dans le secret de mon coeur la souffrance est toujours là, et elle fait p***** de mal ! Pas de façon continue, mais elle est cachée. Parfois, j’aimerais bien que les autres sachent ce que je cache. 

Merci Sabine de nous avoir confié ta souffrance, avec authenticité et pudeur ! Tes paroles nous encouragent à soigner notre relation aux autres, en faisant preuve de délicatesse, d’attention et d’empathie.

C’est ce que la Bible nous invite à voir : dans la souffrance, il y a une possibilité de se rapprocher des autres et de Dieu, même lorsque la douleur semble nous isoler.

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