Si je traverse les ravins de la mort, tu es avec moi (Ps 22)
Pour notre série d’articles sur la souffrance, des témoins ont accepté de nous confier leur histoire, avec pudeur et délicatesse. Leur témoignage de vie peut nous apporter du réconfort : nous ne sommes pas seuls face à nos douleurs.
Elisabeth est la maman de Rémi, un jeune homme de 35 ans, atteint de schizophrénie.
Pouvez-vous nous parler de votre fils et du moment où vous avez commencé à remarquer que quelque chose n’allait pas ?
Rémi faisait des études pour un master à Nancy, lorsque la maladie a fait irruption dans sa vie. Il avait 23 ans, âge auquel la schizophrénie se déclenche souvent. J’ai commencé à comprendre que quelque chose “clochait” quand j’ai eu des difficultés à le joindre, puis lorsqu’il a tenu des propos incohérents au téléphone. Je lui ai demandé de descendre chez ses voisins, qui ont appelé le SAMU lorsqu’ils l’ont vu en grande détresse, vêtu d’une simple couverture. Il a été emmené aux urgences psychiatriques. Avec son père, nous avons fait la route pour venir le chercher. Nous avons rapidement compris la gravité de la situation en voyant l’état de son appartement : traces de coups dans les murs, sel au sol, centaines de bougies disposées partout… Nous avons raccompagné Rémi chez nous. Au début, il avait des comportements et des propos délirants, des hallucinations (visuelles, auditives, kinesthésiques). Il voyait par exemple son corps disparaître en eau, ressentait des morsures de rongeurs, … Il est devenu menaçant, dangereux, avec des passages à l’acte, contre les autres et contre lui-même. Il est aujourd’hui interné.
Comment as-tu vécu l’annonce du diagnostic de schizophrénie ?
A l’annonce du diagnostic, je suis entrée en état de sidération. Tout s’est comme arrêté. Puis j’ai ressenti de la douleur et de l’incompréhension, de la révolte. Et un sentiment d’impuissance.
Qu’est-ce que cela a changé, concrètement, dans votre quotidien et celui de votre famille ?
Cela a tout changé. Au sein de notre famille, d’abord, avec un épuisement physique et psychologique pour nous, ses parents. La peur qui s’installe à cause des comportements imprévisibles dûs à la maladie. Une certaine solitude aussi : notre famille s’est éloignée de nous et le regard des autres n’a pas toujours été bienveillant, même dans l’église dans laquelle nous allions.
Au quotidien, cela nous a contraint, son père et moi, à un grand décentrement de nous-mêmes afin d’accompagner Rémi dans toutes ses hospitalisations.
Comment décririez-vous la souffrance psychique que traverse Rémi, selon ce que vous en percevez ?
Difficile de mettre des mots là-dessus. Il a les ailes brisées. Il a basculé dans un monde hors du monde, dans une autre réalité. Il est difficile de percer et comprendre un cerveau psychotique… Rémi est interné depuis 8 ans. L’enfermement est une manière de protéger son entourage de potentiels passages à l’acte violents, mais aussi de le contenir. Il est même arrivé qu’il demande lui-même à être attaché. Parfois il dit qu’il a l’angoisse d’être angoissé.
En tant que maman, comment vivez-vous cette souffrance à ses côtés ? Quels sentiments dominent ?
J’ai toujours plaisir à visiter Rémi dans sa chambre d’hôpital. Les visites sont très ritualisées : nous jouons toujours au même jeu de société par exemple (moi qui n’aime pas ça, habituellement !). De manière paradoxale, il me console et me donne de la force. Il me dit souvent “je t’aime”.
Avez-vous parfois le sentiment que votre propre souffrance est invisible ou incomprise ?
Je ne me pose jamais cette question ! J’avance, un jour après l’autre, en veillant à bien rester dans le moment présent. A saisir les petites choses du présent.
Qu’est-ce qui vous aide à tenir, à rester debout, dans les moments les plus durs ?
Ce qui m’aide, ce sont les lieux de parole. Un groupe de partage dans une association d’aide aux aidants (l’UNAFAM), mon accompagnement psychologique avec une psychologue clinicienne, mon accompagnement spirituel avec un prêtre. Et mon échange avec Dieu dans la prière, en offrant ce que je vis. Grâce à tout cela, je ne dirais pas que j’accepte la maladie de Rémi, mais je crois que je l’accueille.
Y a-t-il une parole de la Bible ou autre qui vous aide au quotidien ? Et Rémi ?
Pour moi, c’est une parole de Ste Thérèse de Lisieux : “Tout est grâce”. Ça ne veut pas dire que la maladie de Rémi est un cadeau, mais que Dieu est toujours présent, dans tout ce qui fait notre vie, y compris cette maladie et ses conséquences. Il ne nous abandonne pas.
Pour Rémi, c’est “Dieu seul suffit”. Une parole de Ste Thérèse d’Avila.
Y a-t-il un personnage de la Bible auquel vous vous identifiez parfois ? Et Rémi ?
Moi, je pense souvent à Marie au pied de la croix, qui regarde Jésus et “médite toutes ces choses en son coeur”.
Pour Rémi, ce serait le Christ en croix. Rémi dit qu’il offre sa maladie à Jésus pour sauver des âmes. Un prêtre nous a dit un jour que Rémi ressemblait au Christ par la croix, par la souffrance, mais aussi par la gloire de la Résurrection.
Que souhaiteriez-vous que les autres comprennent mieux à propos de la schizophrénie et de la souffrance psychique ?
Que la schizophrénie est une maladie du cerveau où des zones dysfonctionnent (cortex préfrontal, amygdale, hippocampe) et ont des conséquences sur la gestion de l’action, des émotions et de l’analyse du contexte. On ne guérit pas de cette maladie, même si certains malades peuvent être stabilisés avec une médication, ce qui n’est pas le cas de Rémi. En fait, on ne connaît pas les maladies psychiques, on n’en parle jamais. J’aimerais expliquer ce que j’en ai compris, suite à mes trois années de formation sur le sujet.
Quel message aimeriez-vous transmettre à d’autres personnes qui traversent une épreuve similaire et sont confrontés à la souffrance psychique ?
Je leur dirai qu’il est très important de comprendre la maladie et de se former, à travers des programmes comme celui de Profamille, par exemple. De se rapprocher d’une association d’aide aux aidants comme l’UNAFAM où un psychologue clinicien est présent dans un groupe de parole, une fois par mois.
A d’autres parents qui traversent une épreuve similaire à la mienne, j’ai envie de dire : tenez bon ! Ce chemin de douleur peut devenir un chemin de vie, de rencontre, de dépouillement où nous pouvons rencontrer les autres dans leur différence et où Dieu nous rejoint.
Merci Elisabeth de nous avoir confié votre souffrance et celle de Rémi, avec délicatesse et vérité ! Votre témoignage nous encourage à changer notre regard sur les souffrances psychiques et à soutenir les malades et les aidants par le dialogue et l’écoute.
C’est ce que la Bible nous invite à voir : dans la souffrance, il y a une possibilité de se rapprocher des autres et de Dieu, même lorsque la douleur semble nous isoler.